Tutoriel : tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le piqué sans jamais oser le demander
"La notion de piqué est utilisée en photographie et au cinéma pour désigner la qualité de précision d'une image. Plus le piqué d'une image est important, plus l'impression de netteté sera grande." Wikipedia
"Il y a une case rouge dans les mesures de piqué de l’objectif que je viens d’acheter. Je suis déshonoré." Un photographe désespéré
Il faut le reconnaître, nous sommes devenus accros aux tests publiés dans les revues spécialisées. Cela n’a en soi rien de choquant : après tout, il est normal que nous cherchions à obtenir un maximum d’information sur les matériels hors de prix que les marques nous convainquent d’acheter.
Mais savons-nous prendre suffisamment de recul par rapport à ces essais ? Et combien d’entre nous savent interpréter ces tests ? Avouons-le, lorsque nous consultons l’un de ces tests, nous sautons le plus souvent le texte et les explications pour nous concentrer uniquement sur les graphiques. Et là que voyons-nous ?
HORREUR… MALHEUR… un carré rouge ! Caramba, aurais-je acheté une daube ? Dans un monde de plus en plus soumis aux réactions compulsives, la tentation est forte de se précipiter sur e-Bay pour revendre au plus vite un objectif dans lequel nous venons de perdre instantanément confiance.
Pourtant, un peu de sérénité s’impose. Non pas que les tests ne soient pas fiables. Ou qu’ils soient biaisés, comme on le lit souvent sur certains forums. Bien au contraire, ils sont en général sérieux et argumentés. On trouve d’ailleurs sur les sites les plus réputés (
photozone.de,
slrgear.com) toutes les explications sur leur protocole d’essai.
Mais la notion de piqué est bien plus complexe qu’il n’y paraît. En tout état de cause, elle ne peut pas être imputée à la seule qualité de l’optique : d’où l’importance de lire attentivement le texte qui accompagne les graphiques !
L’objectif de ce tuto est de donner quelques clefs pour mieux comprendre la notion de piqué et pouvoir interpréter ces fameux graphiques. A l’issue de ce tuto, je tenterai de répondre à la question existentielle que se pose tout un chacun :
peut-on garder la conscience tranquille avec un objectif qui a une case rouge ?.
Les paramètres qui jouent sur le piqué
Comme je l’ai dit plus haut, le piqué d’une image n’est pas une caractéristique intrinsèque de l’objectif. Il dépend de toute une chaîne dans laquelle interviennent les conditions de prise de vue, le temps d’exposition, l’ouverture du diaphragme, la sensibilité choisie pour prendre la photo, les qualités optiques de l’objectif, le capteur, le boîtier et enfin le moyen de visualisation (tirage papier ou écran).
Pour des raisons de clarté de ce tuto, j’ai regroupé ces paramètres en deux catégories :
- les facteurs « exogènes »,
- la chaîne objectif – boîtier – visualisation.
Les facteurs exogènes
On a tendance à imputer tous les défauts de piqué à l'objectif, voire au capteur. Pourtant, plusieurs facteurs indépendants de l'objectif et du capteur peuvent nuire au piqué d'une image. On peut en citer au moins 4 :
- les conditions atmosphériques,
- le déplacement du sujet,
- le "bougé" (la tremblotte du photographe),
- l'utilisation d'ISO élevés.
J’ajouterais à ces quatre facteurs la diffraction. Elle est clairement imputable au couple objectif – capteur mais elle est de nature différente des phénomènes expliqués dans le chapitre qui suit.
les conditions atmosphériques
Et oui, on n'y pense rarement mais une météo brumeuse ou un climat chaud et humide peuvent nuire au piqué d'une photo de paysage ! C'est souvent minime mais cela peut rendre décevantes les photos faites au téléobjectif.
le déplacement du sujet
C'est un grand classique de la photo de portrait : ne bougez plus, le petit oiseau va sortir. Si on recommande au modèle de se tenir tranquille, c'est que ses déplacements vont nécessairement être enregistrés par le capteur. Et cela aucun dispositif de réduction de flou ne peut le corriger. Lorsqu'on photographie un sujet en mouvement, il faut adapter la vitesse de déclenchement à sa vitesse de déplacement.
Une maman qui pousse une poussette se déplace à 1m/s. Si on la photographie au 50mm à une dizaine de mètres, elle aura parcouru 2mm en 1/500è de seconde (si, si, vous pouvez me croire). Cela représentera environ 2 pixels pour un appareil de 16Mpix. Si maintenant on veut prendre en photo une F1 qui roule à plus de 180km/h (50m/s), on a intérêt à choisir un temps de pose beaucoup plus court... ou à maîtriser la technique du filé !
le "bougé"
Le bougé du photographe est l'ennemi numéro un du piqué. Il est pratiquement impossible à éliminer complètement à moins d'utiliser un trépied et une télécommande. Même si on met de côté la tremblotte qui nous agite tous de façon plus ou moins prononcée en fonction de notre taux d'alcoolémie résiduel (ou chronique), le simple fait d'appuyer sur le déclencheur induit un minuscule déplacement de l'appareil, donc du capteur, pendant le temps d'ouverture de l'obturateur. Ce déplacement est à l'origine du flou de "bougé".
Supposons que le "bougé" induise un micro-déplacement de 1/100è de degré en 1/50ème de seconde. Si l'on fait une photo au format FX avec un objectif de 50mm (sans dispositif VR), ce déplacement correspond à 1/4700ème du champ couvert par l'objectif (47 degrés). Cela se traduira par un flou inférieur à un pixel pour un appareil de 16Mpix. Rien de grave.
Si par contre on utilise un 300mm (champ couvert = 8 degrés), ce même micro-déplacement correspond à 1/800è du champ... c'est à dire à 6 pixels. Cette fois, c'est suffisant pour gâcher la photo.
On voit que l'impact du flou de bougé est d'autant plus gênant que la focale utilisée est grande. Une bonne règle consiste à adapter la vitesse de déclenchement à la focale utilisée. On dit couramment qu'il ne faut pas descendre en dessous de l'inverse de la focale. En pratique, cela donne 1/50è de seconde pour un 50mm et 1/300è de seconde pour un 300mm.
En format DX, il faut tenir compte du coefficient multiplicateur associé à ce format (ce qui conduit à 1/75è pour un 50mm et à 1/450è pour un 300mm). En macro, il est préférable de prendre de la marge : plus le plan de mise au point est proche plus l'effet du flou de bougé est important.
Fort heureusement, les constructeurs d'objectifs ont mis au point des dispositifs qui réduisent l'effet du flou de bougé. Les objectifs qui en bénéficient sont dits
VR (à réduction de vibration). Ce type de dispositif permet de gagner 2 à 3 diaphs. Si l'on reprend nos deux exemples ci-dessus, cela permet théoriquement de shooter à 1/6è de seconde avec le 50mm et à 1/30è de seconde avec le 300mm. Ces valeurs de 2 à 3 diaphs sont données à titre indicatif : il revient à chacun de les ajuster en fonction de sa pratique. Ne pas oublier que le dispositif à un temps de réponse de quelques dixièmes de seconde. Il convient donc de le solliciter une fraction de seconde avant de déclencher (il suffit d'appuyer sur le déclencheur à mi-course).
les ISO élevés
Cette fois, la perte du piqué n'est plus liée à un mouvement ou aux caractéristiques de l'air ambiant, elle est liée à l'électronique du boîtier. Le phénomène est très simple : pour augmenter la sensibilité du capteur, les ingénieurs n'ont rien trouvé de mieux à ce jour que d'amplifier le signal en sortie de celui-ci. Seulement, qui dit amplification dit augmentation du bruit. Cette augmentation est bien contenue jusqu'à 800 ISO... Elle commence à faire des dégâts à partir de 1600 ISO (3200 ISO sur les APN de dernière génération). Le bruit se traduit par un mouchetis sur les photos qui n'est pas toujours très esthétique, surtout si ce mouchetis est coloré. Pour réduire l'effet de ce mouchetis, les ingénieurs appliquent des algorithmes plus ou moins sophistiqués qui ont tous pour effet de "filtrer" le signal. Malheureusement, qui dit filtrage dit atténuation des transitions... donc réduction du piqué.
Les algorithmes de traitement anti-bruit ont fait d'énormes progrès au cours des dernières années. Ils étaient assez destructeurs il y a encore 3 ans, ils sont maintenant beaucoup plus subtils. Il n'empêche : comparez une photo prise à 100 ISO et la même photo prise à 1600 ISO. Vous ne pourrez pas éviter de ressentir une vague sensation de flou sur la seconde si vous examinez de près les détails.
la diffraction
Comme le fait fort justement remarquer Luc dans les commentaires qui suivent, la diffraction entre également en ligne de compte dès lors qu’on ferme le diaphragme à f/11 ou f/16 (et au-delà). La diffraction est un phénomène qui tend à disperser les rayons qui passent au travers d’un orifice étroit (par exemple un diaphragme très fermé). La diffraction va donc avoir tendance à « étaler » les détails les plus fins, voire même à perturber leur détection par des photosites de petite dimension. C’est ainsi qu’un D800 à 36Mpix sera plus sensible à la diffraction qu’un D3s à 12Mpix.
La chaîne objectif – boîtier – visualisation
Elle est, bien sûr, essentielle dans la constitution du piqué. Il est indispensable de bien choisir les conditions de la prise de vue pour obtenir une photo bien piquée… mais on ne peut pas obtenir une photo piquée avec un objectif de qualité médiocre, un boîtier avec une résolution faible ou sur une imprimante de qualité moyenne.
Cependant il faut bien comprendre que les 3 éléments de cette chaîne ont une importance équivalente dans la formation du piqué. Le piqué d’une photo est déterminé par
le piqué du maillon le plus faible de la chaîne. Un objectif de qualité exceptionnelle donnera des résultats
équivalents à ceux que procure un objectif de qualité moindre sur un appareil de gamme intermédiaire ou au tirage sur une imprimante A4 !
Quelles sont les facteurs qui interviennent dans cette chaîne :
- les caractéristiques optiques de la chaîne,
- le capteur, dont le filtre passe-bas limite la résolution,
- le boîtier qui effectue une opération de dématriçage complexe pour construire chaque pixel à partir des informations recueillies sur les photosites RVB voisins,
- le moyen de visualisation qui procède avant toute chose à une interpolation bicubique pour mettre l’image à l’échelle
- et, dans le cas d’une imprimante, la qualité de la reproduction (sa définition et le taux de recouvrement des pixels).
Fort heureusement, on peut exprimer les performances des différents éléments de la chaîne sur une même échelle de mesure, ce qui permet de les comparer et même de les combiner. Pour comprendre les tests qui sont publiés et apprécier réellement leur signification pour le matériel que nous possédons, il est important d’apprendre à interpréter ces performances et de savoir comment les combiner.
Les mesures de piqué
Il existe plusieurs façons de présenter les mesures de piqué. Les plus courantes sont illustrées par les deux graphiques qui suivent.
résultats d’essais sous la forme la plus courante
résultats d’essais sous la forme la plus complète :
photozone.de
La première constatation est que les mesures sont données pour 3 zones de l’image :
- La plus large est appelée « centre ». Elle couvre la plus grande partie de l’image. C’est dans cette zone que l’on situe en général le sujet si l’on respecte la règle des tiers.
- Vient ensuite une zone appelée « bord » et qui est en gros la zone qui entoure le cercle de la zone centrale.
- On trouve enfin « les angles » qui ne constituent qu’une petite partie de l’image. Ils sont les plus mal lotis puisqu’ils reçoivent un maximum de rayons obliques.[/i]
les 3 zones de mesure
Pour chaque zone de l’image, la mesure est donnée pour différentes valeurs d’ouverture du diaphragme. En règle générale, les mesures ont la même typologie :
- A la plus grande ouverture du diaphragme, le centre est très bon, sans pour autant être toujours excellent. Le bord est moins bon et les angles sont parfois carrément faibles.
- Quand on visse d’un ou deux crans, la situation s’améliore. Le bord rejoint le centre et les angles suivent avec un peu de retard.
- Souvent, à f/5.6 et f/8, l’optique est à son optimum. Le piqué est homogène sur tout le champ et la valeur mesurée est en général qualifiée d’excellente.
- Au-delà (à partir de f/11) le piqué faiblit à cause de la diffraction.
Mais dans les faits… à quoi correspondent ces couleurs et ces barres ? Comment se traduisent-elles sur mes photos ? Nous voici au cœur du sujet !
Avant d’aller plus loin dans ce tuto, il est nécessaire de faire un petit détour par la technique. Désolé… Munissez-vous d’un tube de paracétamol et prenez votre mal en patience. Ça ne sera pas
trop long.
Comment mesure-t’on le piqué
Finis les amuse-gueules, rentrons maintenant dans le vif du sujet. Quand on parle de piqué, on pense tout de suite à l'objectif. Comme je l’ai déjà dit
l'objectif n'est qu'un élément dans la chaîne de production du piqué. Un élément, mais un élément essentiel...
La fonction d'un objectif est de faire converger l'ensemble des rayons provenant d'un point du plan de mise au point vers un "point-image" situé dans le plan du capteur. Si l'objectif était parfait, ce point-image serait un "vrai" point au sens géométrique du terme. Le piqué serait inégalable ! Nobody is perfect, et l'objectif pas plus qu'un autre. Sa géométrie n'est pas parfaite, l'état de surface des lentilles n'est pas parfait, le matériau qui les constitue n'est ni parfaitement homogène ni exempt de toute diffraction... et le positionnement des lentilles n'est pas parfaitement exact et rigoureusement conforme à l'optimum en tout point de la gamme de focale. De ce fait le point-image est plutôt une petite tache dont la dimension est plus ou moins grande en fonction de la qualité de fabrication de l'objectif et de sa position par rapport au centre de celui-ci.
Ce type d'imperfection peut être mis clairement en évidence si on place une mire constituée d'un réseau de lignes parallèles alternativement noires et blanches dans le plan de mise au point. Les lignes du réseau-image sont proportionnellement plus larges que les lignes de la mire et les transitions entre lignes noires et lignes blanches sont moins franches. Cela ne gêne pas la vue d'ensemble si les lignes sont espacées. Par contre, plus elles sont proches et plus la sensation de "flou" devient perceptible. A un certain point, les franges des lignes noires en viennent à se chevaucher. Il est alors plus difficile de discerner les lignes. On constate d'ailleurs que les lignes noires sont plutôt gris foncé et que les lignes blanches deviennent gris clair. Le "micro-contraste" a sensiblement diminué.
C'est l'analyse de ce phénomène qui permet de quantifier le "piqué" d'un objectif. On fait varier le nombre de lignes par unité de longueur et on recherche le moment à partir duquel les lignes noires du réseau-image se chevauchent et où le micro-contraste a diminué de moitié. On compte alors les lignes (noires et blanches) : c'est ce nombre qui mesure le piqué de l'objectif. Cette mesure porte le nom de
MTF (modulated transfer function). L'échelle est exprimée en
LPH (lines per picture height), ou
LW/PH (line widths per picture height). En clair, c'est le nombre de lignes par hauteur d'image en format paysage.
Attention : la hauteur d'image n'est pas la même pour un capteur dit "full frame" (24x36) ou APS-C (16x24).
Il n'est donc pas possible de comparer directement le score en LPH d'un objectif FX avec celui d'un objectif DX !
En répétant la mesure en différents points de l'objectif (au centre, sur les bords et dans les coins) et pour différentes focales dans le cas d'un zoom, on obtient une série de valeurs qui donnent une cartographie assez complète et détaillée des caractéristiques de l'objectif considéré. On peut trouver sur le site
photozone.de des réseaux de courbes très précis pour un grand nombre d'objectifs de différentes marques.
L'avantage des résultats publiés par
photozone.de est qu'ils ne sont pas purement qualitatifs comme ceux qu'on peut lire dans la presse spécialisée. Si on prend Chasseur d'Images par exemple, les "barre-graphes" sont simplement agrémentés d'une échelle qui donne une appréciation du résultat : moyen - bon - très bon - excellent... L'interprétation paraît immédiate. On oublie souvent de lire les commentaires qui accompagnent les courbes et qui précisent le boîtier avec lequel ces mesures sont faites... et le format du tirage qui ont permis d'établir ces appréciations. Or ces précisions sont loin d'être anecdotiques ! Comme je l’ai dit plus haut
la sensation de piqué et sa mesure dépendent à la fois de l'objectif, de l'appareil photo et du mode de visualisation (ou du format du tirage dans le cas d'une impression papier).
Sur photozone.de on trouve le même type d'échelle qualitative mais on a aussi accès à la valeur mesurée.
piqué du Nikkor 24-120 f/4 G-ED à 24mm, mesures publiées par
photozone.de
Les chiffres sont rébarbatifs : que veut dire une MTF de 2660 LPH dans le coin de l'image pour le 24-120 utilisé à 24mm et f/4 ? Est-ce que cela me garantit un bon piqué avec un D600 ? Et pourquoi est-ce que je n'ai que 2220 LPH avec le 16-85 à 16mm et f/3.5 au centre de l'image ? Qu'est-ce que cela donne avec le D300s ?
Et le boîtier dans tout ça ?
Pour bien comprendre l’influence du boîtier, rien de mieux qu’un exemple. Reprenons le cas du Nikkor 24-120 f/4, cette fois pour une focale de 35mm.
piqué du Nikkor 24-120 f/4 G-ED à 35mm, mesures publiées par
photozone.de
Prenons le cas du D600. En format paysage, la hauteur d'image est de 4016 photosites. On pourrait en conclure que le D600 peut reproduire 4016 lignes noires et blanches ! Ce serait possible si les lignes du réseau-image correspondaient pile poil avec les photosites. Par contre, si elles sont décalées d'une demi-largeur de photosite, l'image produite sera... uniformément grise. C'est un de ces fameux artefacts dont on a fait tant de cas lors de la sortie du D800E. Pour pallier ce genre de défaut, les constructeurs placent un filtre "passe-bas" devant le capteur pour flouter l'image. Le résultat est radical : tous les détails au-delà d'un certain degré de finesse sont gommés ! Ils ne risquent donc pas de former des artefacts. La conséquence directe est que
la résolution d’un boîtier n’est pas égale à sa définition.
L’existence du filtre passe-bas n’est d’ailleurs pas la seule raison. Un capteur n’est pas composé de photosites permettant de mesurer chacun les 3 composantes de la couleur (seule la technologie Fovéon permet cela). Un capteur de 24Mpix, comme celui du D600 est constitué de 12 millions de capteurs « verts », 6 millions de capteurs « rouges » et 6 millions de capteurs « bleus ». Ces photosites forment un réseau régulier appelé matrice de Bayer. C’est le processeur du boîtier qui reconstitue pour chaque pixel ses 3 composantes RVB à partir des informations de couleur fournis par les photosites voisins ! Une autre raison pour laquelle définition et résolution ne pas sont pas identiques.
Ce phénomène se traduit par un adoucissement des contours assez similaire à celui décrit plus haut pour les objectifs. Il se mesure d'ailleurs de la même façon. On trouve sur
dpreview.com la MTF mesurée des principaux reflex. Par exemple, la MTF du D600 est annoncée à 2800 LPH, celle du D800 à 3200 et celle du D3s à 2200.
Couplage avec l’objectif
Comment cela se combine-t'il avec la MTF de l'objectif ?
Prenons l'exemple du 24-120 à 35mm avec une ouverture de f/4 (voir tableau plus haut).
Au centre, la MTF est de 3785 LPH. Elle est largement supérieure à celle du D600. Cela veut dire que
pour le D600, le piqué au centre de l'image est limité par la résolution effective du capteur. La MTF de l'ensemble "objectif + boîtier" sera au mieux de 2800 LPH. Sachant que l'effet de l'objectif et celui du filtre passe-bas se cumulent, on sera plutôt entre 2500 et 2700 LPH.
Dans les angles, on a la situation inverse. La MTF de l'objectif est de 2110 LPH alors que le D600 peut reproduire 2800 LPH. Cette fois,
c'est l'objectif qui limite la résolution. La MTF de l'ensemble "objectif + boîtier" sera au mieux de 2110 LPH. En prenant en compte l'effet cumulatif, on devrait être entre 1800 LPH et 2000 LPH.
Sur les bords, l'analyse est un peu plus complexe. La MTF de l'objectif est très proche de celle du boîtier : 2586 pour 2800 LPH. En première analyse, on pourrait dire que c'est plutôt l'objectif qui limite le piqué de l'image mais la contribution du filtre passe-bas du boîtier est assez difficilement dissociable. Il y a fort à parier que la résolution de l'ensemble soit plutôt de 2300, voire 2200 LPH.
Visualisation et tirage
Nous voilà maintenant avec des valeurs approchées de la MTF de l'ensemble "objectif + boîtier" : environ 2600 LPH au centre, 2300 LPH sur les bords et 1800 à 1900 LPH dans les angles. Ces valeurs donnent une bonne indication de ce que l'on pourra constater sur l'écran avec le facteur d'agrandissement ad-hoc (ne pas oublier que l'on raisonne en nombre de lignes par hauteur d'image : il faut donc prendre en compte la résolution en vertical de l'écran).
Attention : si on utilise un facteur différent, il faut savoir que la carte graphique va appliquer une interpolation sur l’image… interpolation qui risque de modifier le piqué !
Qu'est-ce que cela va donner à l'impression ? Il faut cette fois prendre en compte les caractéristiques de l'imprimante. Prenons une imprimante à 254 ppp (points par pouce). Pour un tirage au format A4, la définition dans la hauteur en format paysage est de 2100 pixels. Ne nous emballons pas : une imprimante jet d'encre est loin d'offrir une MTF au niveau de sa résolution. Les projections d'encre se chevauchent et on aura au mieux 1500 LPH, voire moins sur des imprimantes d’entrée de gamme.
Autant dire que le tirage A4 d'une photo faite au 24-120 à 35mm avec le D600 réglé à f/4 sera parfaitement homogène sur toute la dimension de l'image : la MTF de l'ensemble de la chaîne objectif + boîtier + tirage sera tout simplement déterminée par celle de l'imprimante utilisée au format A4. Pas de panique : la photo paraîtra quand même très piquée : à 1500 LPH, et même à 1200 LPH, on peut distinguer nettement des détails de quelques dixièmes de millimètres !
Le même type de raisonnement peut être fait pour un tirage A3. Cette fois la définition théorique est de 2970 LPH et on peut espérer une MTF proche de 2000 LPH. C'est encore une fois la MTF de l'imprimante qui va donner le ton pour toute la chaîne, sauf peut-être dans les angles où l'effet de cumul se fera sentir (notamment en raison de la baisse du micro-contraste). L'image restera néanmoins très croustillante... et en tout état de cause plus détaillée que sur le tirage en A4.
Ce n'est que sur un tirage 40x60 que l'on va pouvoir réellement juger les performances du D600 équipé du 24-120. Cette fois la définition théorique est de 4000 LPH, soit pas loin de 2800 LPH à l'impression. La MTF de l'imprimante seule excède celle du couple objectif-boîtier. Son effet sur l'ensemble de la chaîne devient secondaire. C'est d'ailleurs pour cette raison que CI établit ses appréciations sur un tirage de cette dimension !
Le tableau suivant donne un autre exemple : non pas pour le plaisir d'attraper mal à la tête mais pour montrer la différence en termes d'ordre de grandeur lorsqu'on fait ce type d'analyse au standard DX. L'objectif est cette fois le 16-85 f/3.5 - 5.6, un objectif purement DX. Il est associé dans cet exemple au D300s. Le site dpreview.com donne une note de 2200 LPH au D300s.
Dans les exemples qui précèdent, les valeurs de MTF avec boîtier et au tirage sont approximatives. Elles ont été estimées et non mesurées.
Comme on le voit, l'interprétation des mesures de piqué est assez complexe et demande pas mal de réflexion. On ne peut pas tirer des conclusions directes des courbes publiées par les journaux ou sur les sites spécialisés à moins de faire une analyse complète comme celle qui précède. Il est très important de prendre en compte les conditions dans lesquelles les appréciations ont été faites. Il faut, en particulier, se garder de faire des généralisations hâtives :
- Il est impossible d’extrapoler les résultats obtenus avec un objectif FX monté sur un boîtier FX aux résultats que donnerait ce même objectif monté sur un boîtier DX. Un objectif FX qui a une MTF de 2700 LPH au centre verra sa MTF tomber à 1800 LPH si on le mesure en format DX... Tout simplement à cause de la taille réduite du capteur ! Ça n'a guère d'effet sur un tirage A4 mais ça risque de se voir sur un A3.
- On peut difficilement prédire les résultats que donne un objectif sur un boîtier très défini (disons 24Mpix) à partir de ce qui a été déterminé quelques années auparavant avec un boîtier moins défini (par exemple 12Mpix). Il peut continuer de s'avérer excellent tout comme il peut décevoir.
La qualité d'un tirage à format identique ne sera pas dégradée (elle ne peut que s'améliorer). Par contre il est possible que l'on puisse ne tirer aucun bénéfice du surcroît de définition du capteur.
- A contrario, un objectif jugé moyen sur un boîtier très défini peut être considéré comme très bon sur un boîtier moins bien défini. Encore une fois, c'est très relatif : la qualité des images ne sera pas meilleure. C'est tout simplement que cet objectif permettra de tirer le meilleur d'un boîtier 12Mpix alors qu'il est en deçà de ce que peut délivrer un 18Mpix ou un 24Mpix !
Je m’y perds… Mon objectif est-il bon, oui ou non ?
Comme on le voit, les conclusions que l’on peut tirer peuvent s’avérer contradictoires
avec un même objectif montés sur des boîtiers différents. Et le piqué sera perçu de manière radicalement différente si on examine un tirage A4, une vue écran à 100% ou un format 40x60. Pour illustrer ce paradoxe apparent, j’ai fait figurer sur le même graphique les caractéristiques d’un objectif, la résolution de différents boîtiers et celle d’une l’imprimante en fonction des dimensions du tirage.
piqué du Nikkor 24-70 f/2.8 G-ED à 24mm, mesures publiées par
photozone.de
Les barres du graphique représentent les mesures brutes fournies par le banc
Imatest de photozone.de. Sur la gauche, on peut lire la résolution maximale donnée par
dpreview.com pour trois boîtiers et sur la droite la définition maximale permise au tirage sur une imprimante de bonne qualité.
Que nous apprend ce graphique ?
- Que le Nikkor 24-70 f/2.8 G-ED est tout simplement
excellent sur tout le champ quel que soit le diaphragme avec le D700 à 24mm ! La raison en est simple : le pouvoir de séparation de l’optique est supérieur à la résolution du boîtier…
- Que ce même objectif donnera des images un tout petit peu plus « molles » dans les angles à f/2.8 avec un D600 mais que cela ne se verra ni sur un A3 ni, a fortiori, sur un A4.
- Que les résultats seront plus nuancés avec un D800… mais qu’il faudra se payer un tirage 40x60 pour s’en rendre compte !
On voit donc qu’il faut savoir garder son sang-froid… et qu’il n’est pas inutile de lire la totalité du test à tête reposée ! Lorsque les données quantitatives ne sont pas disponibles (c’est souvent le cas avec les tests publiés par CI ou par LMDLP), il est essentiel de bien vérifier le type de boîtier avec lequel le test a été fait et le format du tirage sur lequel les mesures ont été relevées.
Et si malgré tout il reste un carré rouge ?
Récapitulons : vous avez le même boîtier que celui utilisé pour le test et vous voulez participer à un concours. Est-ce que ce carré rouge en bas à gauche de la planche-test test ne va pas vous disqualifier ?
Une fois de plus sachons prendre du recul. On n’achète pas un objectif pour photographier une mire. Le fait de voir « une case rouge » dans un coin de la planche-résultat n’a, le plus souvent,
aucune importance pour les photos que l’on fait dans la vie courante.
Prenons l’exemple d’un zoom trans-standard qui démarre à 24mm. Comme on le voit plus haut pour le 24-70 f/2.8, il est un peu mou dans les angles à la plus grande ouverture pour un D600 ou un D800. Il faut fermer à f/5.6 ou f/8 pour atteindre un niveau maximal et homogène sur tout le champ. Le 24-120 f/4 ne fait pas mieux. L’équivalent au format DX (16-85 f/3.5-5.6) est du même tonneau.
Et alors…
Alors, rien. On utilise le plus souvent un grand angle pour faire du paysage ou de la photo d’architecture. Et pour ce type de photo, on veut une profondeur de champ confortable pour inclure différents plans dans l’image. Ce qui veut dire qu’
on fermera le diaphragme à f/8 pour assurer le coup. Que peut donc nous faire la case rouge dans les angles à f/2.8 ?
Bon, d’accord… Mais quid des résultats à l’autre bout de la plage focale ?
piqué du Nikkor 24-120 f/4 G-ED à 120mm, mesures publiées par
photozone.de
Bien souvent, quand on se met en position téléobjectif, on ouvre le diaphragme au maximum pour isoler le sujet et flouter l’arrière-plan ! J’aurai donc besoin cette fois d’ouvrir à f/2.8.
Imparable… Mais qui, dans ce cas-là, place son sujet sur le bord ou dans un coin ?
La zone centrale est suffisamment large pour garantir un piqué excellent (ou, au pire, très bon) sur le sujet même placé sur « un point fort » comme le veut la règle des tiers !
Reste un point sensible : la photo en basse lumière. C’est l’un des cas où l’on peut être amené à ouvrir le diaphragme au détriment de la profondeur de champ. Il reste à bien apprécier l’effet du manque de piqué : y a-t’il, sur les bords et dans les coins, des détails minuscules
qui se trouvent dans la zone de netteté et que je veux rendre ? Question subsidiaire, le tirage que j’utiliserai, permettra-t’il de rendre ce genre de détails ? Si la réponse est oui, je crains que vous ne soyez cette fois réellement confronté aux limites de l’objectif.
Dans ce cas (et si vous faites très régulièrement ce genre de photos) je ne vois que deux solutions :
- ou bien vous prenez un crédit sur 10 ans pour acheter un zoom dans la gamme professionnelle,
- ou bien vous achetez une focale fixe f/1.8 ou f/1.4 de dernière génération dont les performances sont en général très bonne dès la pleine ouverture…